Le 8 juin 2018, coup de tonnerre à La Haye. Après dix années passées entre les murs de la prison de Scheveningen, la CPI annule la condamnation de Jean-Pierre Bemba à 18 ans de prison pour les crimes de guerre commis par ses troupes en RCA. Il est également acquitté pour les charges de crimes contre l’humanité. L’ancien chef de guerre est libre. Alors que c’était la première fois que la CPI ciblait les violences sexuelles utilisées comme armes de guerre et la première fois que ce tribunal international condamnait quelqu’un qui n’était pas présent sur les lieux du crime, la décision des juges sonne la déroute du procureur.
En République Démocratique du Congo, cette décision crée un séisme au sein de la classe politique. A la veille des élections reportées à plusieurs reprises, personne n’attendait la réapparition de l’ancien Vice-Président sur la scène politique. Le 1er août 2018, le retour de Igwe, surnom donné par les Congolais au Président du MLC, suscite un grand espoir parmi ses partisans dont la grande majorité est issu de la province de l’Equateur.
Le 24 août, la CENI invalide la candidature de Jean-Pierre Bemba à la présidentielle en invoquant sa condamnation par la CPI pour subornation de témoin. Cette condamnation est confirmée le 04 septembre 2018.
Cette réapparition tardive de JP Bemba sur la scène politique brouille les cartes. La majorité sortante est désemparée. Ses espoirs s'effondrent. Elle sait qu’elle ne peut plus compter sur les voix de l’Equateur. Quant à l’opposition, elle ne s’en porte pas mieux. Désormais, Félix Tshisekedi et Moïse Katumbi qui ont fait alliance doivent compter sur le retour en force d’un enfant du pays injustement emprisonné par la CPI. D’emblée, l’ancien gouverneur du Katanga qui, ayant été refoulé par Joseph Kabila à Kasumbalesa s’est vu lui aussi empêché de déposer sa candidature aux élections, est séduit par JP Bemba. Au-delà de la politique, les deux hommes partagent en commun un passé d’hommes d’affaires. Ils parlent le même langage et partagent les mêmes codes. Une alliance entre le géant de l’Equateur dont le lingala n’a d’égale que sa force brutale et le sémillant président du TP Mazembe qui rassemble derrière lui tout l’espace swahilophone constitue la promesse de millions de voix pour le candidat que les deux hommes choisiront pour affronter celui de Joseph Kabila.
Pressé par la population de désigner un candidat unique pour l’élection présidentielle, les leaders de l’opposition se retrouvent à Genève afin de choisir leur champion. A l’invitation de Moïse Katumbi, Jean-Pierre Bemba, qui affichait quelques réticences à apporter son soutien à Félix Tshisekedi, se rallie à la candidature du président de l’UDPS. A la surprise générale, le premier tour de discussion entre les candidats de l’opposition retenus par la CENI aboutit au choix de Martin Fayulu. Immédiatement, dans une conférence de presse historique, Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe se rallient au choix de Fayulu. En dépit de leur déception, pour Katumbi et Bemba, le sort en est jeté. Sous le label de LAMUKA, toute l’opposition décide de faire bloc derrière le candidat originaire de Bandundu. Quelques heures après cette déclaration, Tshisekedi et Kamerhe reprennent leur parole pour créer à Naïrobi, sous l’égide du Président Uhuru Kenyatta et de Raïla Odinga, leur plateforme CACH. Vital Kamerhe abandonne ses ambitions présidentielles au profit de Félix Tshisekedi.
En décembre 2018, la campagne électorale annonce une victoire retentissante du leader de LAMUKA. Le soutien de Katumbi et de Bemba en faveur de Martin Fayulu constitue un véritable rouleau compresseur. Lors de la publication des résultats, faute d’un procès-verbal signé en bonne et due forme par Corneille Nangaa président de la CENI et la publication des résultats désagrégés de chaque bureau de vote, les résultats présentés par la CENI seront contestés par tous les observateurs notamment la puissante Eglise Catholique ainsi que les principaux organes de la presse internationale.
Immédiatement, Martin Fayulu crée un front pour la vérité des urnes. Il peine à rallier Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba dans ce nouveau combat. Les deux hommes choisissent plutôt d’observer le nouveau président congolais qui donnent des signes d’apaisement en libérant les prisonniers politiques et en autorisant le retour des exilés. Parmi ces derniers, se trouve Moise Katumbi qui, le 20 mai 2019, après trois années d’exil forcé rentre triomphalement au pays.
Mais l’ombre de Joseph Kabila continue à planer sur la scène politique congolaise. Pour accéder à la magistrature suprême, Félix Tshisekedi a noué une alliance avec son prédécesseur. Elle est concrétisée par une coalition entre la plateforme CACH (UDPS-UNC) et le PPRD de Joseph Kabila. Au fil des semaines et des mois, le président Tshisekedi va déboulonner un à un tous les hommes de Kabila des fonctions d’Etat qu’ils occupent. La population congolaise assiste à cette bataille qui aboutit à l’éviction du Président de la Cour Constitutionnelle et à la prise de contrôle totale du pouvoir judiciaire par le nouveau Chef de l’Etat. Dès lors que la menace d’une destitution ne plane plus sur sa tête, Félix Tshisekedi convainc la majorité des députés de Joseph Kabila à se rallier sous la bannière de l’Union Sacrée.
Le 23 octobre, le président Tshisekedi annonce la fin de sa coalition avec Joseph Kabila. Il invoque l’incapacité du gouvernement à restaurer la crise à l’Est du pays et à trouver des solutions aux problèmes sociaux des Congolais pour se débarrasser de ses encombrants alliés. Les jours du Premier Ministre Ilunga Ilunkamba et du gouvernement CACH-FCC sont comptés. Entre-temps, Vital Kamerhe a lui aussi fait les frais d’une grande opération de nettoyage du Chef de l’Etat. Il se retrouve condamné à 20 ans de prison pour faits de corruption et de détournements des deniers publics. Félix Tshisekedi est désormais seul aux commandes de la RDCongo.
Début novembre 2020, abandonnant Martin Fayulu à sa recherche de la vérité des urnes, Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi rallient eux aussi l’Union Sacrée. Pour prix de leur adhésion à la nouvelle majorité, les deux leaders s’accordent à présenter un cahier des charges commun au Chef de l’Etat. Outre le retour de la paix à l’Est et l’amélioration des conditions de vie de la population, ils intègrent dans leurs revendications les réformes visant à la tenue des élections crédibles et transparentes en 2023.
Dans cette nouvelle majorité, Moïse Katumbi apporte 70 députés rangés sous le label de sa plate-forme Ensemble pour le Changement et Jean-Pierre Bemba affiche 17 députés encartés MLC. L’un et l’autre oublient que la plupart de leurs élus sont déjà sous l’emprise du Chef de l’Etat et du Président a.i. de l’UDPS, Jean-Marc Kabund. Contre des promesses de fonctions dans le gouvernement et les entreprises publiques, d’argent voire même de... voitures, Jean-Marc Kabund fait basculer dans leur camp la majorité des élus. La chute du Bureau de l’Assemblée Nationale dirigé par Jeanine Mabunda, celle du Bureau du Sénat présidé par Alexis Thambwe et la mise en place du Gouvernement Sama Lukonde de l’Union Sacrée vont consacrer l’emprise de l’UDPS sur la nouvelle majorité ainsi que des allégeances surprenantes.
Pendant ce temps, le Président Félix Tshisekedi entend détruire l’opposition. En dépit du ralliement de Moïse Katumbi et de Jean-Pierre Bemba à la nouvelle majorité, il sait le danger que représente pour lui l’alliance entre les deux hommes. Les élections de 2018 ont révélé l’efficacité du tandem. Si Moïse Katumbi dispose d’un carnet d’adresses international solide et des entrées dans toutes les capitales d’Europe et d’Afrique ainsi qu’à Washington, il n’en est pas de même de Jean-Pierre Bemba qui traîne un passé sulfureux et ne peut mettre ses pieds aux Etats-Unis.
Par ailleurs, après dix années de prison, le clan Bemba est en difficulté d’argent. La succession de Jeannot Bemba, le père de Jean-Pierre, met sur la place publique les difficultés de la famille à trouver une solution. Jean-Pierre Bemba est contesté par la fratrie. Son leadership est écorné. Les relations entre l’ancien rebelle et sa belle-mère Mbombo, puissante cadre renommée de la Direction des Douanes, ne sont pas non plus au beau fixe. A telle enseigne que Jean-Pierre Bemba en est réduit à vivre avec sa famille dans une annexe de la concession paternelle dans la commune de la Gombe.
Informé des déboires du Président du MLC, Félix Tshisekedi identifie rapidement le maillon faible au sein du ticket qu’il redoute. Il est d’autant mieux au fait de la situation que traverse l’homme fort de Gemena qu’il dispose de collaborateurs qui ont leurs entrées dans la maison Bemba. Le puissant conseiller spécial en matière de sécurité, François Beya, ne cache pas ses amitiés avec l’ancien Vice-Président de la République. Les deux hommes se connaissent et s’apprécient. Il en va de même du Conseiller Spécial chargé des Investissements, Jean-Claude Kabongo, qui fut un temps un conseiller de Bemba. Un troisième homme est chargé de convaincre Jean-Pierre Bemba qu’il a tout à gagner à quitter Katumbi pour rallier Tshisekedi. Il s’agit du puissant conseiller privé, Fortunat Biselele, qui pendant la guerre du RCD, fut l’assistant d’Alexis Thambwe et d’Azarias Ruberwa. L’homme dispose d’entrées dans le cercle du pouvoir de Kigali et y a vendu l’alliance entre Félix Tshisekedi et Jean-Pierre Bemba.
Conscient de la difficulté de l’entreprise, le clan Tshisekedi enclenche une opération minutieuse et méthodique de séparation des deux alliés de LAMUKA. Pour éroder la confiance entre les deux hommes qui entretiennent des relations suivies, le Président de la République va profiter de toutes les occasions pour privilégier le MLC et son chef à chaque partage de responsabilités et à chaque nomination. Alors que Moïse Katumbi refuse de le rencontrer sans la présence de son allié, Félix Tshisekedi n’hésite pas à inviter Bemba qui lui n’hésite pas à se rendre seul au Palais.
Après plusieurs semaines de discussions, le gouvernement de l‘Union Sacrée est rendu public le 12 avril. Avec ses 70 députés, l’ancien gouverneur du Katanga se voit attribuer 5 ministères. Bemba lui fait le carton plein avec 3 ministres pour 17 députés. Dans la course aux postes, il dame le pion à son ami Moïse Katumbi. Le 2 mars, le MLC de Bemba obtient la Vice-Présidence du Sénat tandis qu’Ensemble de Moïse Katumbi est purement et simplement débarqué du Bureau.
Jean-Pierre Bemba est d’autant plus flatté de la considération que lui porte le Chef de l’Etat qu’il lui envoie des notes ainsi qu’au Premier Ministre afin de leur transmettre ses conseils, avis et recommandations sur la situation au pays. En compagnie de 6 députés, Jean-Pierre Bemba dépose au Chef de l’Etat un plan intégré du Bloc ouest et de la Grande Orientale. Il est vrai qu’à l’ouest, Bemba dispute le leadership à Martin Fayulu.
Mais l’ancien rebelle est vite rattrapé par ses vieux démons. Son besoin d’argent se fait sentir. Félix Tshisekedi et ses hommes connaissent le talon d’achille de l’ancien Vice-Président. Ils savent que le statut de chef de famille, de leaders et les ambitions politiques exigent des moyens importants qui font cruellement défaut à Jean-Pierre Bemba. Dans un premier temps, le Chef de l’Etat congolais décide de satisfaire l’ego de celui qu’il cherche à séduire en le dotant d’une garde policière renforcée. Quant aux moyens financiers, Félix Tshisekedi se dit prêt à les lui allouer contre un engagement plus visible de JP Bemba à ses côtés.
Dans sa recherche d’argent, Jean-Pierre Bemba s’est toujours démené comme un diable dans un bénitier. Pour rappel, en mars 2019, Bemba avait demandé aux juges d’ordonner que lui soit accordé un total de 68,8 millions d’euros (77,7 millions USD) comprenant 12 millions pour sa période de détention, 10 millions Usd de dommages et intérêts, 4,2 millions d’euros pour ses frais juridiques et 42,4 millions d’euros pour dommages à ses biens. Dans une décision rendue le 18 mai 2020, les juges de la chambre préliminaire avaient rejeté la demande de Bemba tout en lui indiquant qu’il pouvait demander réparation par d’autres voies de recours pour la mauvaise gestion supposée de ses avoir.
Le 13 janvier 2021, les avocats de Bemba assignaient la RDC au tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe et demandaient des dommages et intérêts pour les préjudices subis du fait de la destruction de sa villa à Maluku et du pillage de ses biens par les militaires, lors de la guerre qui a suivi la proclamation des résultats des élections présidentielles de 2006. En termes de dommages et intérêts JP Bemba demandait la somme de 2.528.532 USD pour la réhabilitation de sa villa détruite et la restitution de ses biens meubles et 5.000.000 USD pour tout préjudice confondu
Le 07 juillet 2021, JPB assignait la RVA et la RDC en justice devant le tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe et sollicitait la réparation pour le découpage de ses 7 avions et demande réparation du préjudice subi. Il sollicite le paiement de 17.239.000 Usd représentant la valeur vénale des aéronefs, 125.400.000 Usd à titre de manque à gagner et 15.000.000 Usd pour les préjudices subis. Soit près de 160.000.000 Usd. En réalité, selon les experts, la valeur de ses avions n’excédait pas 3 millions USD.
Parallèlement, l’ancien Vice-Président ne désespère pas de convaincre Félix Tshisekedi de lui restituer la licence et la fréquence dont Comcell, son ancienne société de télécommunications, était la bénéficiaire afin de reprendre pieds dans le secteur des télécommunications. Nul doute que cette décision remettrait définitivement en selle le président du MLC.
A mesure que le temps passe et que les échéances électorales approchent, Jean-Pierre Bemba a décidé de quitter définitivement LAMUKA pour rallier avec armes et bagages le camp de Félix Tshisekedi. L’ancien Vice-Président ayant abandonné toute ambition présidentielle. il lui reste à négocier le prix de son ralliement. Et il est décidé à se vendre très cher. Les arguments ne manquent pas. En qualité de magistrat suprême, il appartient aujourd’hui au Président Tshisekedi, s’il le souhaite de satisfaire en partie les exigences de Jean-Pierre Bemba.
Comme une pré-dote à ce ralliement, récemment, lors du mariage de son fils, en dressant la table de ses invités d’honneur, l’ancien Vice-Président Bemba a placé le Chef de l’Etat Félix Tshisekedi aux côtés de l’ancien Président ivoirien Laurent Gbagbo en évitant soigneusement la présence de Moïse Katumbi. Pour l’occasion, l’ancien gouverneur du Katanga qui avait fait spécialement le déplacement de Kinshasa était relégué dans le jardin. Des signaux qui, à Kinshasa, n’ont trompé personne.
Dans la bataille qui se joue pour écarter Moïse Katumbi de la course à la présidentielle, sous la dictée de Kabund, les juristes du pouvoir ont élaboré la loi sur la Congolité. Portée par un député de l’Union Sacrée, Nsingi Pululu, cette proposition de loi veut verrouiller l’accès à la présidence de la République et aux plus hautes fonctions de l’Etat aux seuls candidat de nationalité congolaise d’origine nés de père et de mère congolais. A l’exception de l’UDPS et du MLC, les principales forces politiques du pays ont toutes rejeté ce texte qui viole la Constitution en réduisant les droits d’une partie des Congolais d’origine. La société civile, à commencer par les Evêques Catholiques, a également dénoncé cette proposition de loi qui s’inspire de l’ivoirité. Au sein de la communauté internationale, par la voix de la représentante du Secrétaire Général des Nations Unies, Mme Bintou Keita et celle de l’ambassadeur US, Mike Hammer, les voix se font entendre pour dénoncer cette proposition de loi qui risque d’embraser à nouveau le pays. Dans ce concert de contestations, le silence de Jean-Pierre Bemba est accablant. Il fait office d’adhésion implicite à la démarche des adversaires de Moïse Katumbi. C’est donc peu dire qu’aujourd’hui l’alliance entre les deux hommes a du plomb dans l’aile.
Les observateurs de la scène politique congolaise ont compris qu’en sortant de la prison de Scheveningen, Jean-Pierre Bemba avait gagné sa dernière bataille politique. Il reste à l’ancien Vice-Président à gagner celle qui semble le plus compter à ses yeux aujourd’hui, celle de l’argent !
Arsène Ntumba
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