
par Dr. Tharcisse Kabongo
La chute de Goma et l’effondrement militaire des FARDC ont déclenché des réactions de solidarité aussi inattendues qu'inquiétantes. À peine quelques heures après la prise de la ville, Félix Tshisekedi a reçu en toute discrétion Pavel Prigogine, le dirigeant du groupe Wagner dans son Palais de la cité de l'UA à Kinshasa.
Fort de ses succès dans les bastions de la Françafrique à l’Ouest, le Kremlin vise aujourd'hui à contrecarrer l'influence occidentale en attirant à lui, au nez et à la barbe du Président Donald Trum trop préoccupé par le conflit israélo-palestinien, le canal de Panama, et les droits de douane, les pays du golfe de Guinée et d'Afrique Centrale. L'incapacité manifeste de Félix Tshisekedi et de son gouvernement offre à Vladimir Poutine une occasion en or pour élargir son influence dans la région.
Un petit air de Wagner dans toute l'Afrique
Entre 2017 et 2023, le groupe privé Wagner a été un acteur clé de la présence militaire russe en Afrique. Suite à la mort d'Evgueni Prigojine, dans un mystérieux accident d'avion consécutif à la mutinerie des troupes de Wagner, Vladimir Poutine a décidé de créer un nouveau dispositif dénommé Africa Corps, pour continuer les activités précédemment menées par Wagner. Africa Corps a pour mission de proposer une offre intégrale aux chefs d’État africains, englobant des volets sécuritaire, informationnel, économique et politique. Les cinq pays ciblés sont la Libye, le Niger, le Burkina Faso, la Centrafrique et le Mali.
A sa disparition en 2023, les clés de l'empire laissé par Evgueni Prigojine sont revenues à son fils Pavel, 26 ans. Le jeune homme dispose selon les médias britanniques d'une fortune estimée à 730 millions d'euros. A travers Wagner, il dispose toujours d'une présence significative, notamment au Mali et en République Centrafricaine. Vladimir Poutine semble s'accommoder du maintien de Wagner sur terrain. En parallèle, le chef du Kremlin s'appuie sur Andreï Trochev, nommé commandant des bataillons volontaires en Ukraine. Trochev travaille avec la société militaire privée Redut, qui est sous le contrôle du ministère de la Défense russe. Un autre nom, Andreï Averyanov, a également été envisagé pour superviser les opérations de Wagner en Afrique. Ce général, ancien dirigeant d'une unité du GRU spécialisée dans les assassinats, est un proche de Poutine. Ironie du sort, il est cité parmi les responsables de l'explosion de l'avion d'Evgueni Prigogine. Wagner et Africa Corps sont les instruments de la présence militaire russe en Afrique.
Cela se bouscule à Bamako
Au Mali, après la mort d'Evgueni Prigogine, la junte a résisté dans un premier temps à l'intégration des éléments de Wagner dans Africa Corps. Pour convaincre les autorités de la junte malienne et mettre un terme à leurs réticences, Poutine a exercé des pressions, envoyant à Bamako plusieurs personnalités influentes. Parmi elles, le général Yunus-Bek Yevkurov, vice-ministre de la Défense, ainsi que Konstantin Mirzayants, fondateur de la société militaire privée SMP, et Andreï Averyanov. Le contrat du gouvernement malien avec Wagner a été renouvelé, mais avec une coopération renforcée avec Africa Corps, notamment pour l'approvisionnement en munitions. L’offre russe au Mali est estimée à 10 millions d'euros par mois. Dans le même temps, des sociétés turques telles que Sadat et Canik Academy cherchent à s'implanter, avec des instructeurs turcs arrivant à Bamako. La junte malienne semble ouverte à la possibilité de jouer la concurrence entre ces puissances. Pour financer deux années de partenariat militaire, la junte aurait dérobé 245 millions d'euros d'or à la société américaine Barrick Gold.
En Libye, c'est Khaled Haftar, le fils du maréchal Khalifa Haftar, qui a négocié le déploiement d’Africa Corps avec Mikhaïl Bogdanov, vice-ministre russe des Affaires étrangères. La chute du régime de Bachar al-Assad en Syrie a incité les Russes à transférer une partie de leur équipement militaire en Libye. Le nombre de soldats russes sur le terrain est passé de 800 à 1 800, avec l'installation de radars, de batteries anti-aériennes et d'autres matériels lourds.
Actuellement, Africa Corps s'active à réhabiliter la base aérienne de Maaten al-Sarra, située au sud du pays, à la frontière avec l'Égypte, le Soudan et le Tchad. Cette base est stratégique pour étendre l'influence de Vladimir Poutine en Afrique. Elle permet à la Russie de soutenir ses positions à Niamey au Niger, Loumbila au Burkina Faso et Gao au Mali.
D'autres bases sont également réhabilitées par les Russes, notamment Al-Jufra au centre de la Libye et Al-Khadim, près de Benghazi. La base de Maaten al-Sarra demeure toutefois la plus stratégique. Elle ouvre à la Russie une porte vers le Tchad. Avec le départ des militaires français, la Russie cherche à offrir ses services au maréchal Mahamat Déby. Des experts russes, ainsi que des pilotes et des militaires de haut rang, sont présents à N'Djamena, où ils négocient l'expansion d’Africa Corps dans le pays. Après avoir été la première à féliciter Mahamat Déby lors de son élection, en janvier 2024, la Russie a accueilli le jeune maréchal pour discuter d'une collaboration élargie. Il s'en est suivi l'équipement par les Russes de la base de Faye Largeau, située à 500 km de Maaten, en radars de contre-batterie et des radars anti-drone à courte portée et haute fréquence.
Le relais à Bangui
Dans sa stratégie en direction de l'Afrique Centrale et de la RDCongo, la République Centrafricaine est un élément essentiel sur lequel la Russie veut accentuer sa présence. Le 16 janvier, le président de la République Centrafricaine, Faustin-Archange Touadéra, a rencontré Vladimir Poutine à Moscou pour discuter du partenariat sécuritaire entre leurs deux pays et de l'avenir du groupe Wagner à Bangui. Poutine souhaite renforcer la présence russe en Afrique, alors que Touadéra cherche à assurer la continuité de l'appui des mercenaires russes. Le Président Touadéra est particulièrement intéressé par le maintien des Russes pour sa sécurité rapprochée. Il envisage l'implantation d'une base militaire russe en Centrafrique. Cette option plaît à Moscou, qui voit là une opportunité de s'ancrer en Afrique centrale, tout en établissant une voie de communication avec ses positions en Libye et au Soudan.
En ce qui concerne le Soudan, Poutine a choisi de soutenir le général Abdel Fattah al-Burhane contre son rival, le général Hemetti. Si al-Burhane remporte la victoire, la Russie pourrait ouvrir une base militaire à Port-Soudan, ce qui lui donnerait un accès stratégique à la mer Rouge.
Poutine dans les pas de Khadafi
Dans le cadre général du déploiement de ses forces en Afrique, Vladimir Poutine prend définitivement avantage du départ de la France et du désintérêt des Etats-Unis pour le continent. En Libye, la Russie s'est alliée avec le maréchal Khalifa Haftar, ce qui lui permet de développer des bases militaires sur la Méditerranée. Une base en Centrafrique offrira bientôt à la Russie la possibilité d'une projection rapide vers l’Ouest, le golfe de Guinée, ou encore la République Démocratique du Congo, un objectif qui rappelle les ambitions de Mouammar Khadafi qui lorgnait avec gourmandise sur le grand bassin du Congo, ses eaux et ses minerais. Désormais, il est clair que Félix Tshisekedi a choisi le camp de ceux qui l'aideront par tous les moyens à en découdre avec la rébellion du M23 soutenue par Kigali. Reste à voir comment réagira l'administration américaine de Donald Trump qui semble encore hésiter sur l'avenir de la RDCongo.
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